20 juin 2019
- Le fond de l'histoire
Le fond de l’histoire : Les thérapies génétiques changeront prochainement la donne : une leçon à retenir
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ET SI LES THÉRAPIES GÉNÉTIQUES ÉTAIENT LA PROCHAINE RÉVOLUTION DE LA MÉDECINE QUI CHANGERA LA DONNE POUR CE QUI EST DU COÛT DES RÉGIMES DE SOINS DESANTÉ? Serons-nous prêts cette fois-ci?
L’industrie n’oubliera certainement pas de sitôt les énormes répercussions des médicaments biologiques et autres médicaments à coût élevé – particulièrement les traitements contre l’hépatite C et leur prix surprenant. Toutefois, nous tirerons des leçons de ce qui est arrivé récemment concernant l’hépatite C et ce que nous pourrions appeler la « préparation aux situations d’urgence ». C’est une question fondamentale, alors que les nouvelles thérapies génétiques – associées à des coûts astronomiques se chiffrant à des centaines de milliers de dollars – sont en voie de devenir une révolution qui fera même de l’ombre aux médicaments contre l’hépatite C. Non seulement les thérapies génétiques représentent-elles le prochain bond en avant vers une médecine potentiellement curative, mais elles posent aussi le prochain dilemme en ce qui concerne les couvertures et leur prix abordable.
Cette fois-ci, tirons un enseignement de notre manque de préparation passé. Retenons la leçon de l’histoire de l’hépatite C avant que ces innovations inondent le marché comme une déferlante. Alexander Graham Bell, l’un des grands inventeurs de ce monde, a déjà dit : « Avant toute chose, la préparation est la clé du succès1 ». C’est donc le moment ou jamais de se familiariser avec la thérapie génétique.
La thérapie génétique est assurément novatrice, mais de quoi s’agit-il au juste?
La couverture médiatique de l’approbation récente par Santé Canada d’une thérapie génétique du nom de Kymriah – pour le traitement des enfants et jeunes adultes atteints de leucémie et adultes atteints d’un lymphome – semble étrangement familière. La dernière fois que nous avons entendu des expressions comme « changer la donne », « révolutionnaire » et « de pointe », il s’agissait de nouveaux médicaments curatifs de l’hépatite C2 . Aujourd’hui, ce sont les thérapies génétiques qui sont en vedette. En d’autres termes, dans le sens le plus large, plutôt que d’utiliser des médicaments ou interventions chirurgicales pour traiter et, idéalement, guérir une maladie, on modifie le profil génétique du patient. Il peut s’agir :
- de remplacer les gènes qui causent la maladie;
- de désactiver les gènes qui ne fonctionnent pas correctement ou
- d’introduire de nouveaux gènes3.
Le processus est réalisé à l’extérieur ou à l’intérieur de l’organisme. Dans le cas de Kymriah, la manipulation est faite à l’extérieur; les cellules sont prélevées chez le patient, modifiées dans un laboratoire, puis réintroduites par perfusion dans l’organisme du patient. À l’opposé, dans le cas de la thérapie génétique Luxturna visant à améliorer la vision chez les patients atteints d’un type héréditaire de cécité, le médecin injecte une substance génétiquement manipulée (un « vecteur »), qui transporte le matériel génétique jusque dans l’œil du patient. Ces deux traitements, comme d’autres thérapies génétiques en cours d’élaboration, ne sont administrés qu’une seule fois.
Ces technologies médicales semblent assurément novatrices, mais les thérapies génétiques fonctionnent-elles réellement? Sont-elles efficaces? Un traitement administré une seule fois fonctionne-t-il vraiment?
Guérir les maladies (avec un peu de chance)
Les thérapies génétiques ont le potentiel de procurer des bienfaits permanents – et les remèdes à administration unique sont ici l’objectif. Voilà ce qui semble être d’une efficacité révolutionnaire! Toutefois, comme c’est généralement le cas avec les nouveaux traitements en cours de mise au point, la « nouveauté » ne va pas de pair avec la longévité ou la rigueur qui sont nécessaires pour obtenir l’étiquette de « curatif ». Cependant, jusqu’à maintenant, les données scientifiques démontrent que de nombreuses thérapies génétiques ont un effet « durable », c’est-à-dire qu’elles procurent des résultats comme la stabilisation et (ou) l’amélioration de l’état de santé.
Par exemple, dans le principal essai clinique portant sur Kymriah, un peu plus de 80 % des enfants et adolescents atteints de leucémie aiguë lymphoblastique – qui n’avaient pas répondu à d’autres traitements ou qui avaient connu une rechute – sont entrés en rémission dans les trois mois qui ont suivi le traitement. Deux ans plus tard, 62 % étaient encore en rémission5 . Ces patients sont-ils guéris? Seul le temps le dira. Espérons que, dans plusieurs années, ils seront encore en rémission et que Kymriah pourra être qualifié de traitement curatif. Une chose est sûre, ce médicament a changé la donne pour ces patients jusqu’à maintenant.
L’un des objectifs principaux des thérapies génétiques consiste à aider les patients atteints de maladies pour lesquelles aucune option de traitement n’existe. Elles visent aussi à venir en aide aux patients qui ont essayé tous les traitements offerts et pour qui l’absence d’une intervention se traduit par un pronostic d’invalidité ou de décès. De plus, les thérapies génétiques visent les patients atteints de maladies nécessitant des traitements d’entretien énergiques et continus. Par exemple, les thérapies génétiques ont ciblé les affections suivantes :
- Des troubles rares ou héréditaires, comme l’hémophilie (saignements inattendus et excessifs), la drépanocytose (caractérisée par une vaste gamme de symptômes, dont des problèmes pulmonaires, accidents vasculaires cérébraux [AVC] et lésions à la plupart des organes), l’amyotrophie spinale (détérioration des capacités physiques causant une impossibilité de marcher, manger ou respirer), ainsi que diverses maladies oculaires pouvant entraîner une perte de vision, voire la cécité;
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Des cancers au stade avancé qui ne répondent généralement pas bien aux autres traitements, par exemple le cancer du pancréas, un cancer de la peau qui s’est propagé, le cancer du foie, les cancers du sang – comme la leucémie – et certaines tumeurs du cerveau.
À bien des égards, les thérapies génétiques ont été utilisées en dernier recours, dans des situations où il n’y avait plus rien à perdre. Toutefois, les patients doivent encore faire des compromis entre un traitement qui peut changer, voire sauver leur vie et des risques liés à l’innocuité, dont certains pourraient être graves.
Cela étant dit, qu’elles soient seulement durables ou même curatives (avec un peu de chance), les thérapies génétiques procurent des résultats qui changent la vie des patients atteints de certaines maladies difficiles à traiter. Ajoutons à cela le développement phénoménal de la recherche liée à des maladies pas si rares, et le potentiel révolutionnaire des thérapies génétiques devient considérable.
Une pépinière de produits bien remplie (en fait, pleine à craquer)
Voici ce qui est excitant et ahurissant : presque chaque gène du génome humain peut être ciblé, ce qui signifie que le potentiel des nouvelles thérapies génétiques est considérable. L’industrie biopharmaceutique des États-Unis signale qu’avec près de 300 thérapies cellulaires et génétiques en cours d’élaboration et ciblant plus de 100 maladies, 2019 pourrait être une grosse année pour les thérapies cellulaires et génétiques7.
Le cancer continue d’être l’une des principales cibles de la thérapie génétique; toutefois, des affections plus courantes, comme les maladies cardiaques, sont désormais sous la loupe. Selon les toutes dernières statistiques, en 2012-2013, 2,4 millions de Canadiens vivaient avec une maladie cardiaque et 669 600 Canadiens de plus vivaient avec un diagnostic d’insuffisance cardiaque8. Manifestement, il serait formidable d’inclure des maladies plus courantes afin de pouvoir aider le plus grand nombre de personnes possible.
Cependant, la pépinière des thérapies génétiques n’est pas seulement pleine à craquer : elle est aussi très coûteuse (comme dans « très, très, très coûteuse »). Alors, combien coûte Kymriah? Bien que ce médicament ait été approuvé pour être vendu au Canada, son fabricant ne l’a pas encore lancé sur le marché. Par conséquent, les seules personnes qui l’ont reçu au Canada participaient à des essais cliniques. Aux États-Unis, le coût d’un traitement unique est de 475 000 dollars américains si le patient est atteint de leucémie aiguë lymphoblastique ou de 373 000 dollars américains s’il est atteint d’un lymphome. Cela équivaut approximativement à 640 000 et 507 000 dollars canadiens9 . Oui, vous avez bien lu (... nous vous laissons quelques secondes pour assimiler l’information).
L’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé a récemment formulé une recommandation préconisant le remboursement de Kymriah par les régimes publics, à condition que le fabricant du médicament accepte de réduire son prix. Action Cancer Ontario dirige les négociations relatives au prix au nom des provinces. Mais que se passera-t-il au moment où ce qu’on a décrit comme un « tsunami de thérapies génétiques novatrices » balayera le marché10? Les nouvelles thérapies génétiques visant des maladies plus courantes – et, par conséquent, un ensemble beaucoup plus vaste de patients – ont le potentiel d’améliorer l’état de santé des membres d’un régime. Donc, en théorie, on devrait envisager le remboursement des thérapies génétiques dans le cadre des régimes privés. Mais en pratique, comment cela fonctionnera-t-il?
Y réfléchir le plus tôt possible
De nos jours, la recherche et le développement en matière de thérapies génétiques vont bien au-delà des maladies rares. Par exemple, les chercheurs étudient le potentiel de nouvelles thérapies génétiques pour le traitement de la maladie de Parkinson, de la maladie de Huntington et de la fibrose kystique, ainsi que de cancers courants, comme certains cancers gynécologiques et de la prostate ainsi que le myélome multiple (cancer des leucocytes dans la moelle osseuse). C’est emballant, mais incroyablement coûteux dans des populations plutôt denses.
Pour ce qui est de la question de l’abordabilité, lorsqu’on envisage le scénario des thérapies génétiques sous l’angle d’un traitement unique, on peut considérer que ces thérapies permettent des économies à long terme. Cette comparaison tient compte du fait que les patients peuvent devoir suivre les traitements classiques pendant des années, voire le reste de leur vie, en ressentant souvent des effets secondaires difficiles à gérer. Ces scénarios coûts-bienfaits sont comparables à une transplantation rénale, qui coûte des centaines de milliers de dollars de moins que des années de dialyse.
Dans de tels scénarios, le chercheur compare les soins habituels actuels au nouveau traitement au moyen de ce qu’on appelle les « années de vie pondérées en fonction de la qualité » (AVPQ) gagnées. Les AVPQ gagnées quantifient la durée des bienfaits de chaque traitement sur la qualité de vie du patient; donc, plus le nombre d’AVPQ gagnées est élevé, plus le traitement est avantageux. Par exemple, une évaluation du rapport coût-efficacité a révélé que, sur une période de 10 ans, la thérapie génétique de l’hémophilie, qui coûte 1 million de dollars américains, permet de gagner 8,33 AVPQ. En revanche, les soins habituels pour prévenir les épisodes de saignement, soit une prophylaxie qui repose habituellement sur l’injection de produits appelés « concentrés de facteur de coagulation » deux ou trois fois par semaine, coûtent 1,7 million de dollars et permettent de gagner 6,62 AVPQ13.
Bien que le rapport coûts-bienfaits à long terme puisse être positif, cela ne résout pas la question immédiate du paiement de la thérapie génétique en premier lieu. À l’heure actuelle, notre modèle de remboursement est fondé sur les coûts permanents des médicaments et les résultats sur la santé largement prévisibles qui sont étroitement liés au fil du temps. Le défi que pose l’abordabilité des thérapies génétiques fait basculer ce modèle. Comment pouvons-nous rembourser des traitements à administration unique potentiellement curatifs dont les coûts initiaux sont faramineux, à un moment où la recherche ne peut garantir de résultats sur la santé à long terme? Il s’agit d’une question parmi tant d’autres auxquelles nous devrons répondre aussitôt que possible. En voici quelques autres :
- Comme l’efficacité à long terme est incertaine, les régimes rembourseront-ils les nouvelles thérapies génétiques?
- S’ils le font, en assumeront-ils immédiatement l’énorme coût ou étaleront-ils le paiement pendant le reste de la vie du membre du régime?
- Que se passe-t-il lorsque les patients changent de régime?
- Le gouvernement ou les fabricants des médicaments offriraient-ils des programmes de partage des coûts?
Ces réflexions mènent à une question plus vaste pour notre société : comment payons-nous un remède?
Il existe peu de précédents offrant des pistes de solutions à ce problème. À bien des égards, c’est absolument fantastique de tenter de résoudre ce problème, car cela signifie que des percées technologiques commencent à produire de réels remèdes. Cependant, le défi demeure entier, car la vitesse des innovations dépasse celle de notre capacité à payer. Notre travail de planification doit donc être concentré sur la création de modèles de remboursement qui évoluent au même rythme que les thérapies génétiques.
Par exemple, il vaut certainement la peine d’étudier des modèles de paiement différé structurés pour que les versements soient effectués sur de nombreuses années. Les ententes de paiements incitatifs dans le cadre desquelles les paiements sont interrompus si la thérapie génétique cesse de fonctionner sont une autre option. Et qu’en est-il des modèles de remboursement encore plus personnalisés? Tout comme chaque thérapie génétique qui est unique, les modèles de remboursement pourraient être personnalisés pour chaque nouvelle thérapie, et non devoir s’adapter à l’ensemble des traitements.